La problématique ciblée
La mondialisation des marchés et des productions, l’intensification
de la concurrence dans le secteur privé ainsi que la situation d’endettement
chronique des gouvernements dans le secteur public forcent toutes les organisations
à améliorer leur productivité et à réduire
leurs coûts, notamment en améliorant la flexibilité de leur
organisation du travail (Tremblay, 2001). De ce fait, la flexibilité
dans la gestion des temps de production et d’utilisation de la main-d’œuvre
est devenue un leitmotiv entrepreneurial.
Par ailleurs, l’émergence d’une économie fondée
principalement sur le savoir entraîne des changements profonds dans la
façon de gérer les organisations. Ces dernières, qui s’engagent
dans cette nouvelle économie, seule voie possible selon plusieurs auteurs,
se trouvent confrontées à une clientèle non seulement plus
exigeante, mais aussi beaucoup moins fidèle qu’auparavant, et cela
est vrai même dans le secteur public. Les organisations doivent donc être
innovatrices, développer leurs compétences et celles de leur personnel
tout en modifiant leurs rapports avec les autres agents économiques,
comme les fournisseurs. On peut penser que l’avenir risque de voir ces
réalités s’amplifier; qu’il nous suffise de penser
au Sommet des Amériques de Québec dont l’objectif était
d’élargir encore la zone de libre-échange créée
par l’ALÉNA.
Concurremment, depuis quelques décennies, les technologies connaissent
un développement encore inégalé et se présentent
comme l’outil par excellence pour améliorer la flexibilité
et la performance des organisations. Elles exercent donc par elles-mêmes
une attraction qui incite les dirigeants à les adopter (Munro et Noori,
1988). C’est probablement ce qui amène plusieurs auteurs à
dire que le recours à la technologie n’est plus aujourd’hui
une question de choix, mais une obligation pour survivre et aussi l’un
des éléments essentiels qui caractérisent la plupart des
organisations à succès (Bernier et al., 1991; Clark et Starkey,
1988; Horwitch, 1986; Porter, 1982). Quel que soit le type d’organisation,
conduite par le marché ou contrôlée par le gouvernement
(Avgerou, 2000), la nécessité d’utiliser les technologies
de l’information et de la communication (TIC) pour traiter l’information
n’a plus besoin de grande justification. Les caractéristiques particulières
de ces technologies et certains des effets qui en résultent parfois peuvent
être contestés, mais leur capacité à produire une
amélioration de la productivité a maintenant atteint un niveau
où elles sont tenues pour acquises.
C’est ainsi que l’innovation technologique dans les organisations
a atteint son propre momentum, impliquant ses propres normes d’institutionnalisation
des bonnes pratiques de gestion. De plus, les TIC sont à la base de l’activité
économique et sociale des sociétés modernes (Avgerou, 2000).
Elles se répandent partout et ont des incidences sur tous les aspects
de la performance des organisations. Elles ont aussi le potentiel d’altérer
la position socio-économique de toutes les nations et de toutes les régions
(OECD, 1988; Castells, 1996).
C’est sans doute ce qui explique que le nombre et la taille des projets
technologiques croissent sans cesse. Les systèmes deviennent beaucoup
plus complexes et intégrés (MacDonald, 1997). Au cours de la dernière
décennie, la plupart de ces projets visaient le développement,
souvent à l’interne, de systèmes pour prendre en charge
les besoins d’information de l’organisation, ou encore l’implantation
de progiciels comme Lotus notes ou SAP dans le contexte particulier d’une
organisation (Avgerou, 2000). La présence de telles TIC a permis d’envisager
de changer les formes d’organisation du travail, surtout par le développement
des équipes de travail (Tremblay et Rolland, 2000, 1999; Tremblay, Rolland,
Davel, 2000) et du télétravail. Elle permet aussi une diversification
des lieux de travail – dans les transports, sur la route, à l’hôtel,
etc. (Tremblay, 2001).
L’introduction de ces technologies a, dans les organisations, des effets
à la mesure de leur puissance : standardisation des informations et des
procédures, croissance des interdépendances, accroissement de
la différenciation interne et des exigences de coordination pour n’en
citer que quelques-uns. De plus, il est reconnu que l’adoption d’une
nouvelle technologie ne peut se faire sans changement dans l’organisation
(Appelgate et al., 1990; Drucker, 1991; Mowshowitz, 1989; Saindon et al., 1990).
La plupart des applications de la technologie présupposent en effet de
revoir les procédés de travail, de redéfinir le contenu
des postes, de réévaluer les qualifications nécessaires,
etc. (Hirschheim, 1985; Saindon et al., 1990). Les façons de faire et
la dynamique organisationnelle, donc les conditions de travail et l’organisation
du travail, sont souvent complètement transformées. Cela touche
des hommes et des femmes qui ont une histoire professionnelle, une mentalité,
une dynamique d’équipe et des pratiques de travail qui se sont
construites, au cours des années, dans un contexte donné et qui
se voient déstabilisés par ces changements structurels (Bourbonnais
et al., 1999; Vézina, 1999; Seagrist, 1996; Tremblay, 1995). De plus,
selon les systèmes d’emploi et les modes de gestion des ressources
humaines mis en place dans les organisations, les changements organisationnels
qui doivent être associés aux nouvelles technologies seront de
plus ou moins grande envergure (Tremblay et Rolland, 1998).
Il est donc essentiel de gérer ce changement. La question centrale du
succès des projets d’introduction de TIC n’est plus vraiment
inhérente à la capacité des technologies, mais plutôt
à l’habileté de l’organisation à exploiter
son potentiel comme levier pour changer et améliorer l’efficience
de ses processus, tout comme la qualité de vie au travail de ses employés,
ce qui contribue à la productivité de l’organisation. Certains
auteurs vont même jusqu’à dire que l’organisation retire
autant, sinon plus, de bénéfices des changements qu’amène
l’introduction de la technologie que de la technologie elle-même
(Bessant et Haywood, 1986; Gupta et Raghunathan, 1989). C’est sans doute
aussi ce qui a amené Drucker (1991) à souligner que même
si elles ont recours à la technologie, les organisations demeurent souvent
peu efficientes, car elles continuent quand même à appuyer leur
gestion sur les principes tayloriens (Tremblay, 1996, 1995). Ainsi, le principal
frein au développement du télétravail ou d’autres
nouvelles formes d’organisation du travail n’est pas la technologie,
mais bien la force d’inertie des organisations (Korte, 1988; Tremblay,
2001, 1996).
La gestion d’un tel changement est très complexe. C’est un
processus dynamique (Smith, 1993; Rabiktov, 1993), croissant et cumulatif (Burkhardt
et Brass, 1990) qui implique une transformation organisationnelle et structurelle
très importante (Allaire et Firsirotu, 1993; Gagnon, 1995; Gagnon et
Landry 1989). Il faut donc prévoir les effets qu'auront ces technologies
à tous les niveaux de l'organisation et à élaborer en conséquence
une stratégie proactive. Tout cela, en respectant des échéanciers
souvent trop courts et un budget qui prévoit rarement les coûts
reliés aux dimensions sociales de l'adoption de la technologie.
Par adoption, nous entendons l’acquisition, l’implantation réussie
et l’utilisation d’une technologie par une organisation (Gupta et
Raghunathan, 1988). Cela signifie donc son intégration dans un contexte
organisationnel donné, dans une culture donnée, dans un milieu
structuré au sens de Crozier et Friedberg (1981). Si la technologie s’intègre
mal au contexte de l’organisation ou si elle n’est pas vraiment
acceptée par les différents acteurs qui utilisent seulement le
minimum de ses capacités, il est évident que les bénéfices
retirés sont diminués d’autant et peuvent même disparaître
totalement.
C’est sans doute dans ce sens que les nouvelles théories en sociologie
des organisations postulent qu’on ne peut expliquer et comprendre le processus
d’adoption des technologies en considérant uniquement les actions
rationnelles des gestionnaires et des experts en technologie (Avgerou, 2000).
L’introduction de grands systèmes intégrés représente
beaucoup plus qu’un changement de technologie, il s’agit d’un
changement organisationnel profond qu’il faut bien préparer. Une
alliance entre les individus et les technologies s’impose. Les dirigeants
doivent en être les créateurs et les leaders.
La gestion du changement technologique et organisationnel exige par conséquent
des expertises variées. En effet, il faut gérer non seulement
la dimension technique, mais aussi les dimensions organisationnelle, financière,
administrative, culturelle, sociale et humaine qu'implique le recours aux nouvelles
technologies (Alsène et Carignan, 1993; Applegate et al., 1990; Bélanger,
1991; Gagnon et Landry, 1989). Ignorer l'une de ces dimensions peut compromettre
les chances de profiter des bénéfices potentiels de la technologie
et donc de réussir l’adoption (Keen, 1985).
C’est peut-être ce qui explique que les audits récents montrent
souvent que 20 % des projets sont abandonnés avant d’être
terminés et que 80 % de ceux qui sont achevés le sont avec un
retard sur l’échéancier, des dépassements de coûts
ou encore avec une technologie qui affiche moins de fonctionnalités que
prévu (MacDonald, 1997; Cats-Baril et Thompson, 1995). Fréquemment
même, la réduction des coûts qui a servi à justifier
le projet ne se concrétise pas. Par ailleurs, pendant que le développement
des TIC est incrémental et cumulatif, transformant graduellement le milieu
de travail et la nature même du travail, les transformations organisationnelles
sont erratiques, éphémères et ne semblent pas contribuer
à l’établissement d’un nouveau modèle à
long terme (Avgerou, 2000). C’est par exemple le cas pour le développement
du télétravail, qui procède parfois par bonds et reculs,
et qui se présente sous différentes formes et pas seulement sous
la forme du travail à domicile à plein temps (Tremblay, 2001,
2002).
Bref, comme on le voit, les enjeux soulevés par la réussite de
l’adoption de TIC sont importants et les défis que doivent relever
les concepteurs et les gestionnaires sont de taille. Pour y faire face, ils
disposent de stratégies d’intervention nombreuses qui, malgré
leur très grande variété, ont en commun de reconnaître
l’importance, d’une part, de la collaboration de la haute direction
et de ses représentants et, d’autre part, de la participation des
usagers. Il va de soi que la réussite de l’adoption d’une
TIC, donc des changements organisationnels qu’elle implique, est la résultante
d’un ensemble de décisions et de choix qui sont faits à
l’occasion de chacune des phases du processus d’adoption. Le type
de comportement des dirigeants d’organisations est donc un facteur déterminant
et l’incidence de leurs décisions en matière d’adoption
de TIC et de modes d’organisation du travail peut être positive
ou négative (Gagnon, 2001; Gagnon et al., 2001).
Les objectifs poursuivis
La problématique établie précédemment
fait ressortir que les TIC offrent énormément de potentiel pour
améliorer la performance des organisations. Mais, pour en profiter, il
faut réussir leur adoption, ce qui implique inévitablement une
volonté et une stratégie organisationnelles visant des changements,
parfois profonds, dans la dynamique organisationnelle et l’organisation
du travail.
La recherche devient donc essentielle pour permettre de mieux cerner et de mieux
comprendre le processus d’adoption des TIC et de changements organisationnels,
et ainsi soutenir les façons d’intervenir et d’accompagner
les processus de changements. Elle pourrait aussi, par la suite, voir au développement
d’outils pour assister les décideurs afin qu’ils puissent
être en mesure de déterminer ce qui est le mieux pour leur organisation
(Avgerou, 2000). Voilà l’objectif central que poursuivra la chaire
Bell en TIC et travail.
Plus spécifiquement, la chaire visera à :
Les thèmes privilégiés
Le comité scientifique de la chaire aura à préciser les objets d’étude qui devront être privilégiés. À titre d’exemple seulement, ces objets pourraient être :
La direction scientifique
La direction scientifique de la chaire est assumée par
deux chercheurs de grande réputation universitaire, les docteurs Diane-Gabrielle
Tremblay, Ph.D., de la Télé-université et Yves-Chantal
Gagnon, Ph.D., de l’École nationale d’administration publique.
Le centre des intérêts de recherche de ces deux chercheurs est
le changement technologique et organisationnel, principalement sous l’angle
de sa réussite ainsi que de l’amélioration de la performance
de l’organisation et de la qualité de vie au travail (QVT) des
employés; cette QVT contribuant elle-même souvent à une
meilleure performance. Leur expertise en recherche a été reconnue
tant par l’obtention de plusieurs subventions de recherche (CRSH, FCAR,
etc.) que par la réalisation de recherches commanditées (CEFRIO,
etc.). De plus, ils ont été actifs auprès des entreprises
privées, dans plusieurs secteurs d’activité (PME, bancaire,
manufacturier, etc.), et auprès des organisations publiques.
Ils sont les auteurs de plusieurs publications et diffusions scientifiques,
ce qui garantit leur habileté à assumer le transfert de connaissances
qui est proposé dans la chaire Bell. Vous pouvez consulter le curriculum
vitæ de M. Yves-Chantal Gagnon et celui de Mme Diane-Gabrielle Tremblay.
(Ce qui est en jaune doit être un hyperlien.)
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